30 juin 1960, la RD-Congo n’est pas indépendante

30 juin 1960, la RD-Congo n’est pas indépendante

En assassinant Lumumba en 1961, la Belgique, l’Angleterre et les USA prévenaient les Congolais que la RD-Congo n’était pas un pays indépendant, que cette terre ne leur appartenait pas…

Sous la direction de Thomas Giefer, le documentaire intitulé « Political assassination » aborde la question de l’assassinat de Lumumba. Dans cette vidéo, et juste au commencement du film, quatre sujets, dont trois Belges et un Américain, s’y expriment.

Le premier qui prend la parole, et qui nous intéresse, est de nationalité belge. Pour ne pas dire de « civilisation » occidentale. L’homme est à son aise quand il exhibe le reste de ce qu’il dit garder jalousement et fièrement de Lumumba, à savoir quelques dents appartenant à Lumumba. De lui, on apprend notamment ce qui suit, et je cite : « Imaginez qu’on a tué Lumumba. Et on vient vous dire de faire disparaitre son corps dans un pays qui n’est pas le vôtre », fin de citation. Le second qui s’exprime à son tour se nomme Jacques Brassine. Il est aussi belge et fonctionnaire. Pour lui, et je cite notamment : « Lumumba était dangereux pour nous, [pour les Belges et la Belgique], dans ce sens qu’il n’était pas susceptible d’être ouvert à des solutions que parfois « nous » (la Belgique), nous souhaiterions être réalisées ». Fin de citation.

Et le troisième belge de la série, et qui fait entendre sa voix dans la vidéo, se nomme le colonel Louis Marlière. Lui également, et presque dans le même sens que les deux autres, déclare notamment : « Lumumba a choisi le mauvais côté. Il était communiste. Il a choisi le camp des Russes plutôt que de l’Occident ». Last but not least, comme on le dit en anglais, vint le tour de l’Américain. Il fut agent de la CIA. Il était en service commandé à Kinshasa à l’époque. Pour lui aussi : « Lumumba était un danger à la fois pour le Congo et le reste du monde. En ce sens qu’il autorisait les Soviets à s’installer. Nous (les Américains) avions de bonnes raisons de penser qu’ils allaient prendre le contrôle du pays ».

Le présent texte ne cherche pas à analyser le pourquoi de leurs propos, ni à leur accorder une certaine légitimité. Il ne cherche non plus à comprendre le comment de l’assassinat de Lumumba, ni à faire le procès de son meurtre. Mais, et à partir de raisons susmentionnées, il va tenter de démontrer que la RD-Congo n’a jamais été, et elle ne l’est toujours pas aujourd’hui, un pays indépendant alors que l’homicide de Lumumba intervenait quelques mois seulement après que les forces colonisatrices ont verbalement proclamé l’indépendance en ce jour du 30 juin 1960 de ce qui n’existait pas encore comme un État libre et souverain et qui ne le sera jamais : un État tout court.

De prime à bord, nous faisons remarquer la contradiction dans les propos du Belge qui étalait son butin de guerre, c’est-à-dire le reste de la denture de Lumumba. Car affirmer que la RD-Congo ne fut pas son pays et en même temps réussir à faire disparaitre le corps de Lumumba dans un pays qui n’était pas supposé être le sien sans y rencontrer des difficultés ou une opposition quelconque, c’est prendre des Congolais pour de grands enfants. Si non, comment expliquer son exploit dans la réalisation de son forfait ? Et j’ouvre ici une parenthèse. La denture de Lumumba dont il expose, et ce librement et avec sourire, son geste, ce geste, n’a jamais fait, à ma connaissance, l’objet de condamnation de la part, ni l’église catholique, ni d’autres institutions championnes de la morale et de l’éthique. Aucune d’entre elles n’a jamais condamné en public l’exposition de la denture de Lumumba. Et même pas le gouvernement congolais. C’est pour dire que la RD-Congo a toujours appartenu et appartient encore aujourd’hui à la Belgique qui la gère pour le compte de son maître anglo-saxon. Je ferme la parenthèse.

C’est pareil avec les déclarations des autres qui accusèrent Lumumba d’avoir choisi le mauvais camp. Et admettions que Lumumba ait posé ce choix, le crime dont il est incriminé par ceux qui étaient supposés lui apportaient la civilisation, le droit et la liberté individuelle, le respect de la constitution d’un pays et la démocratie. Que son choix fût bon ou pas, mais ce fut quand même son choix, le choix d’un homme qui croyait être libre, selon l’entendement d’une civilisation qui le lui faisait savoir bien avant qu’il le fût, libre. Et le condamner à mort malgré tout, uniquement pour son goût à la liberté, explique aujourd’hui encore que Lumumba ne fût jamais libre, lui et le pays auquel il croyait tout bonnement appartenir.

Mais c’est quoi la souveraineté et l’indépendance d’un pays ou d’un peuple quand l’essayiste et journaliste français, Natacha Polony se pose la même question et dénonce « l’immense escroquerie [qui] consiste à nous faire croire qu’il peut exister une liberté des individus sans une souveraineté du peuple. [..] Comment les individus seraient-ils libres sans avoir la possibilité de se choisir un destin commun en tant que peuple, en tant qu’entité politique qui se forme volontairement ? Les individus supposément libres dont on nous parle ne sont que des monades solitaires réduites à leur qualité de consommateurs mais privés de leur autonomie politique, de leur citoyenneté. [Et] Parler de nation, parler de peuple, c’est en mettre en évidence la dimension politique […] Le contraire de la souveraineté, c’est l’esclavage et la soumission. Un peuple souverain est un peuple libre, tout comme un individu souverain est celui qui a pu se forger son propre jugement, et qui s’est émancipé, notamment par l’éducation et par l’école », (voir son interview dans Figaro du 16 juin 2016 : L’appel à la résistance du 18 juin n’a jamais été aussi actuel).

Voilà ce qui nous amène à affirmer qu’un peuple qui se veut se libérer du joug de son maître ne fête son indépendance, l’indépendance nationale de son pays, en présence de son ancien maitre. Il ne laisse pas non plus le service de son protocole lui accorde la première place dans la prise de la parole et ce devant et avant le discours de Kasavubu qui intervint après celui du roi Baudoin de la Belgique ce 30 juin 1960 à Kinshasa. Qui était le maître ? On ne discute pas de la date de l’indépendance d’une nation, d’un peuple en cherchant l’accord de son ancien maître, de commun accord avec lui. L’indépendance, aimait à dire Lumumba, ne s’accorde pas sur un plateau d’agent. Elle s’arrache ». Et le peuple qui le fait ignore ce que veut dire indépendance, indépendance nationale, c’est quoi être indépendant. Lumumba et son peuple demeuraient encore esclaves.

Dans « Ces fruits si doux de l’arbre à pain », un roman- testament politique, l’auteur congolais de Brazzaville, Tchicaya U’Tam’Si va dans le même sens quand il exprime sa désolation devant le fait que : « Jamais un chant dont la vogue a été vertigineuse n’est passé de mode si vite. On s’est foulé les chevilles en dansant sur l’air de ce chant venu de Léo : Independa ! Cha-cha. C’est croire que les Blancs se sont moqués de nous ! […] Les Blancs nous ont laissé leurs boys et leurs plantons pour maîtres. Nous ne nous promettions sans doute pas pour le lendemain ces coups de poing qu’ils nous flanquent tous les jours en plein estomac. La nausée et le sentiment de s’être payé à bon compte mille illusions » (Tchicaya, 1987 : 30).

Lumumba a été tué pour que plus jamais l’Occident n’entende le refrain de l’indépendance, pour que plus jamais personne, de ceux qui restent et viennent après lui ne dise à l’Occident : « Nous avons connu … ». « Ça s’annonce pis, [écrit Tchicaya U’Tam’Si] que tout ce que « nous avons connu » ! pour reprendre le mot de Lumumba, le pauvre ! Oui : « nous avons connu ! » Ah ! ce que « nous avons connu » ! …Ceux d’ici ont prêté main-forte à ses bourreaux. […] La misère du pauvre Noir ne finira-t-elle donc jamais ? Voilà ! il disait « Nous avons connu… » ! Combien d’autres le diront encore dans ce temps à venir, parce que ce n’est pas encore demain la fin », (Tchicaya, 1987 : 71).

Alors, Il y a lieu de s’interroger sur le pourquoi la RD-Congo organise des manifestations militaires et d’autres réjouissances populaires à la date du 30 juin de chaque année. Nous savons que cette question paraît saugrenue à ceux qui estiment le contraire alors qu’ils peinent à démontrer dans leur vie quotidienne et dans l’exercice de leur fonction une parcelle de liberté et une fierté d’être congolais.

Mais il ne suffit pas d’avoir une constitution et de la clamer haut. Il ne suffit pas d’avoir fait ses études en Belgique ou ailleurs et s’autoproclamer expertise et experts. Il ne suffit pas de se faire appeler gouvernement, sénat, chambre basse ou encore général d’une armée nationale, son armée. Et dans la foulée, nous apprenons que le Congo est doté d’une monnaie nationale avec effigie de Lumumba et autres. Et pour ces mêmes personnes, le fait que la RD-Congo ne soit pas en Afrique le seul État dans sa situation entérine son indépendance. À quoi sert toute cette science quand elle ne peut libérer un peuple et l’aider à mieux appréhender son état de misère.

Nous nous demandons comment on peut parler d’indépendance nationale quand tout nous échappe. L’assassinat de Lumumba ne fut pas l’œuvre de Congolais eux-mêmes. Il ne fut pas conçu mentalement et matériellement par une volonté interne mais il fut un diktat extérieur. Des nègres firent le sale boulot. L’accession de Mobutu au pouvoir ne fut pas conçue mentalement et matériellement par une volonté interne. Le départ de Mobutu et son remplacement par l’AFDL (L’Ouganda, le Rwanda, les Kadogos, Laurent Désiré Kabila et autres] ne furent pas conçus mentalement et matériellement par une volonté interne. L’assassinat de Laurent Désiré Kabila et la suite de tout ce qui arrive comme conséquence ne furent pas conçus mentalement et matériellement par une volonté interne. La création du MLC, du RCD, du PPRD, Sun City et autres notamment tous ces hommes dits politiques, qui sont habillés en costumes et cravates et qui font le tour du monde, ne sont pas conçus, fabriqués par une volonté interne. Un peuple est jugé par sa capacité à créer ses propres hommes politiques, ses propres partis politiques, son intelligence à organiser et à assassiner ses propres hommes politiques, et ce quand l’intérêt de la nation le recommande. Mais chez nous tout échappe à un vouloir congolais, à une volonté congolaise. C’est quoi être indépendant quand il n’y a pas de volonté nationale ? Loin de nous l’idée de reprocher à qui que ce soit ses fréquentations et ses choix, mais nous nous insurgeons contre le fait de toujours engendrer des générations de soumis, de ceux qui obéissent pendant que les autres enfantent ceux qui sont appelés à demeurer nos maîtres et les maîtres de notre jeunesse.

Nous et les Autres…

On nous dit souvent que vous ne faites qu’accuser les autres. Mais non, l’Autre, avec « A » majuscule, est responsable de nos malheureux, de tout ce qui nous arrivent comme peuple en RD-Congo. Et en parlant de lui, nous aidons notre conscience, nous la cultivons à ne jamais oublier que l’Autre, avec A majuscule, est toujours présent. Et il sera toujours présent dans la vie, dans notre vie, parce que nous sommes et resterons en relation avec lui, il est là dans l’existence de la RD-Congo. Et jamais, il n’abandonnera la RD-Congo qu’il considère comme sa proie, comme son butin de guerre, comme son objet.

A Ceux qui, parmi nous, veulent ignorer l’Autre, nous disons qu’ils ne connaissent rien de la vie, de l’homme et de son existence, qu’ils ne font jamais attention à la relation qu’ils ont avec l’autre, avec autrui. La non connaissance de l’Autre et de soi, de sa relation avec lui, est un crime, qui doit être puni. Car dans la culture de l’Autre, selon son savoir et même dans la tradition de l’être humain, l’homme n’est jamais seul. Bakhtine affirme que c’est dans le regard de l’autre que j’existe. Et nous d’ajouter que je n’existe pas. Et il en sera toujours ainsi en relation avec autrui, avec l’autre. Soit on existe, soit on n’existe pas. Dans sa nature, l’autre se considère comme une lionne, comme un ours. Il se conduit comme tel, en animal sauvage. D’où, il nous est rappelé de ne jamais baisser les bras. Franz Fanon nous y invite quand il affirme que « Notre tort à nous, Africains, est d’avoir oublié que l’ennemi ne recule jamais sincèrement. Il ne comprend jamais. Il capitule, mais ne se convertit pas. Notre tort est d’avoir cru que l’ennemi avait perdu de sa combativité et de sa nocivité », (Lire. Fanon : « La mort de Lumumba : pouvions-nous faire autrement ? ». Le savoir et le répéter n’est pas seulement synonyme d’éveil de conscience mais une victoire sur l’Autre.

C’est la passion, l’amour de la patrie, de mes frères et sœurs, de la terre de nos ancêtres qui habitent en nous et animent chacun de nos mouvements. C’est pourquoi, nous en parlons et en parleront toujours, et ce tant que le souffle animera notre organisme.

Le temps est venu pour faire rêver la jeunesse de la RD-Congo. Le temps est venu pour elle d’arracher au prix de sacrifice l’indépendance de la nation.

Tshiyoyo Mufoncol
mufoncol.tshiyoyo@gmail.com
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