
23 Oct La chute de Rome et Kissinger : Leçons d’un empire pour la puissance américaine
Henry Kissinger fut l’un des plus influents stratèges en politique étrangère du XXe siècle. Souvent, il comparait les États-Unis à l’Empire romain dans ses réflexions sur le rôle des grandes puissances dans le maintien de l’ordre mondial. Dans sa thèse de doctorat, A World Restored, Kissinger dépeint les États-Unis comme une sorte de nouvelle Rome, chargée de maintenir un équilibre global après la Seconde Guerre mondiale, un monde dans lequel les États-Unis ont émergé comme l’hégémon incontesté. Cependant, bien que Kissinger ait célébré la capacité des États-Unis à dominer la scène internationale, il était sans doute conscient des leçons offertes par l’histoire de Rome : aucun Empire n’est éternel.
Rome, la puissance impériale en déclin
L’Empire romain, autrefois considéré comme invincible, a progressivement succombé à une série de facteurs qui ont miné sa puissance. Parmi les causes majeures de son déclin, on trouve la sur-extension militaire, l’instabilité interne et la pression constante des ennemis extérieurs. Rome, malgré ses succès et sa domination militaire, s’est trouvée confrontée à une multiplicité de crises qu’elle ne pouvait simultanément régir. Ce morcellement des priorités, combiné à des difficultés économiques et politiques internes, a précipité son effondrement.
Cette analogie avec Rome n’est pas sans rappeler la situation des États-Unis aujourd’hui. Englués dans des multiples conflits, de l’Ukraine au Moyen-Orient, et faisant face à la montée en puissance de la Chine, les États-Unis se trouvent dispersés sur plusieurs fronts, comme Rome à son époque. Les coûts financiers et humains de ces engagements, ainsi que les divisions internes croissantes, rappellent étrangement les défis auxquels Rome a été confrontée avant sa chute.
Kissinger et l’équilibre des puissances
Comme réaliste, Kissinger a toujours mis l’accent sur la nécessité pour les grandes puissances de maintenir un équilibre des forces afin d’éviter une fragmentation de leur influence. Il voyait l’Histoire comme un guide pour naviguer dans les complexités du pouvoir international. En étudiant les systèmes européens après les guerres napoléoniennes, il a compris qu’aucune puissance ne pouvait indéfiniment maintenir une domination unilatérale sans provoquer de résistances ou de contre-forces.
Ainsi, bien que Kissinger ait envisagé les États-Unis comme la Rome moderne, il savait que l’hégémonie américaine était fragile. Son avertissement implicite était clair : les États-Unis devaient éviter de s’engager dans des conflits prolongés, dispersant leurs ressources à travers le monde, au risque de subir le même genre que Rome.
La tentation de la sur-expansion
Rome, à son apogée, contrôlait un immense territoire s’étendant de la Grande-Bretagne au Proche-Orient. Mais cette expansion excessive est devenue l’une des causes de sa chute. Plus l’Empire grandissait, plus il devenait difficile de maintenir la cohésion entre ses différentes provinces. La gestion des frontières éloignées, les révoltes internes et les invasions barbares ont progressivement érodé la puissance de l’Empire.
Les États-Unis, comme Rome, doivent faire face à la tentation de la surexpansion. Comme « gendarme du monde », ils ont été impliqués dans des interventions militaires à travers le globe. Du Vietnam à l’Irak, en incluant l’Afghanistan, ces engagements répétés ont drainé leurs ressources économiques et militaires, suscitant un débat sur la légitimité et la viabilité de leur rôle comme leader mondial.
Le déclin est-il inévitable ?
La question fondamentale posée par l’Histoire de Rome est de savoir si le déclin d’une grande puissance est inévitable. Comme l’Empire romain, les États-Unis sont confrontés à des pressions économiques croissantes, des tensions internes et une concurrence accumulée de la part de puissances émergentes comme la Chine et la Russie (l’esprit de Bandung). Les multiples fronts sur lesquels Washington se bat aujourd’hui rappellent la surchauffe à laquelle Rome a dû faire face à la fin de son règne.
Cependant, contrairement à Rome, les États-Unis disposent d’institutions démocratiques robustes et d’une économie technologiquement avancée, ce qui pourrait leur permettre de s’adapter et de réorienter leur stratégie internationale. Mais la capacité des États-Unis à s’adapter à un monde multipolaire dépendra de leur volonté de revoir leur rôle mondial et de passer d’une posture hégémonique à une posture de coopération et de partage du pouvoir.
Les leçons pour l’avenir
Si l’histoire de Rome offre un avertissement pour les États-Unis, elle ne scelle pas préalablement leur destin. Kissinger a toujours souligné l’importance de l’équilibre et de la diplomatie dans la gestion des relations internationales. Le défi pour les États-Unis n’est pas simplement de maintenir leur hégémonie, mais de trouver une nouvelle forme de leadership adaptée à un monde dans lequel la domination unilatérale est de plus en plus contestée.
La montée de la Chine, la consolidation du pouvoir russe (avec l’organisation du Sommet de Kazan) et l’émergence de puissances régionales comme l’Inde ou la Turquie signalent un changement dans l’ordre mondial. Les États-Unis doivent choisir : continuer à disperser leurs forces sur plusieurs théâtres de crise ou recentrer leurs efforts sur la construction d’alliances et la gestion de leur pouvoir de manière plus pragmatique.
Les autres puissances face à la chute de Rome et des États-Unis
Si les États-Unis font face à un moment critique de leur Histoire, d’autres puissances et régions du monde observent ce basculement avec des perspectives variées. Pour la Chine et la Russie, ce déclin est une opportunité de réorganiser l’ordre mondial à leur avantage, sapant progressivement l’influence anglo-saxonne qui a dominé pendant des décennies. Pour l’Europe, cette chute soulève des questions sur son propre avenir stratégique, notamment la nécessité de renforcer ses capacités de défense et de se préparer à un monde dans lequel le parapluie sécuritaire américain pourrait ne plus exister.
Alors, les élites africaines ?
Pour les élites africaines, et particulièrement celles du Congo, la situation est plus complexe. Pendant des décennies, une grande partie de ces élites a juré fidélité à l’ordre mondial dominé par les États-Unis et les puissances occidentales. Beaucoup ont aligné leurs intérêts, économiques et politiques, sur ceux de ces puissances dans l’espoir de protection, d’aides et de partenariats. Cependant, à l’heure où leurs « maîtres » américains vacillent, ces élites sont plongées dans l’incertitude.
En Afrique, et surtout au Congo, de nombreux dirigeants jouèrent souvent le rôle d’agents de service, répondant aux besoins de leur soutien étranger plutôt que de développer des politiques indépendantes et nationales. Mais, face à la chute progressive des États-Unis, ces agents se retrouvent à court d’options, ne sachant plus sur qui compter. L’effondrement de leurs protecteurs met à nu la dépendance de ces élites et expose l’urgence pour l’Afrique de redéfinir son avenir de manière autonome.
Une question cruciale s’impose : faut-il déloger ces élites par la force ? Quand un chien perd son maître, il devient vulnérable, exposé à la merci des observateurs avisés. Cela n’est-il pas le moment pour les peuples africains, et notamment congolais, de renverser ces élites qui n’ont fait que servir des intérêts étrangers, et de libérer leur pays par une libération par la perception ?
Quelles leçons pour l’Afrique ?
Les élites africaines devraient se questionner sérieusement sur la manière dont elles peuvent se repositionner dans un monde en mutation rapide. Loin de pleurer la fin de la domination anglo-saxonne, elles doivent saisir cette opportunité de renforcer leur propre souveraineté. Le moment est venu pour les nations africaines, particulièrement le Congo, de redéfinir leurs alliances et de construire des partenariats stratégiques qui ne les renforcent plus au rôle d’agents subalternes dans un jeu dominé par d’autres.
Le déclin des États-Unis pourrait marquer une opportunité pour les dirigeants africains de se libérer d’anciennes dynamiques de dépendance et de prendre en main leur destin, en créant une nouvelle ère de coopération régionale et de développement indépendant. Il est crucial que ces élites cessent de « jurer » par leurs anciens maîtres et commencent à construire une souveraineté réelle, en s’appuyant sur des ressources locales et des alliances panafricaines, plutôt que de compter sur les anciennes puissances déclinantes.
Conclusion
Henry Kissinger, en comparant les États-Unis à Rome, a peut-être anticipé le fait que chaque empire, aussi puissant soit-il, fait face un jour à sa propre fragilité. Aujourd’hui, la question qui se pose est de savoir si les États-Unis peuvent éviter les erreurs de Rome en ajustant leur politique étrangère avant qu’il ne soit trop tard. De l’autre côté, les élites africaines, et plus particulièrement congolaises, doivent reconnaître que l’effondrement de l’hégémonie américaine est l’occasion d’en finir avec les anciennes dépendances et de construire un nouvel avenir fondé sur l’autonomie et la souveraineté.
Mufoncol Tshiyoyo, M.T.
Think Tank La Libération par la Perception, Lp
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