Quand la classe politique congolaise refuse de parler de Lumumba

Quand la classe politique congolaise refuse de parler de Lumumba

L’élite politique et intellectuelle congolaises actuelles parlent peu ou pas de Lumumba dans leur discours respectif. Pour elles, la réalité politique au Congo-Kinshasa n’a jamais existé avant le présent actuel qui les rend, ces femmes et hommes, visibles. Car dans leur compromission, ils croient naïvement que leurs « faits » et « gestes » fondent les bases de la politique dans le pays de Lumumba. Sinon, comment comprendre et interpréter le fait de passer délibérément sous silence le nom de Lumumba alors que ce dernier fut assassiné parce que, en effet, il portait haut la flamme de sa nation et de son peuple et qu’il défendait la cause nationale et patriotique. Pourquoi le nom de Lumumba, sa lutte, son histoire sont classifiés sujet tabou au Congo et il ne serait uniquement réservé à l’occasion de la date de sa mort et à l’approche du 30 juin 1960. J’aimerais savoir qui aurait interdit à qui d’enseigner, de parler et de Lumumba et de la période coloniale au Congo ?

Sous d’autres cieux, des peuples, qui ont un sens élevé de leur histoire, et qui portent leur destin sur leurs épaules, célèbrent avec fierté et dignité leur passé, bon ou mauvais. Ils ordonnent les choses de telle sorte que toute transmission consciente de la mémoire collective aux générations futures soit possible et opérationnelle. Parce que les peuples ne sont jamais le fruit du hasard. Leur constitution et formation sont le résultat et la combinaison du savoir-faire, de l’intelligence et de la clairvoyance d’un leadership qui se montre soucieux d’orienter ce qui devient son peuple vers des voies historiques. Et dans ma conversation sur ce sujet avec notre ami Jean Pierre Mbelu, ce dernier dénonce l’adoption d’”une certaine religion, qui pour lui, a fait que plusieurs compatriotes aient une approche magique de la réalité jusqu’à s’imaginer que les choses advenaient par elles-mêmes. Sans travail acharné, sans conscience historique et mémoire collective”. C’est pour affirmer que l’on ne naît pas peuple. On le devient. Cependant, comment le devenir, aussi longtemps que dans notre démarche, certains d’entre nous, qui sont censés conduire le peuple vers cette fin, obstruent par leur silence la construction consciente de l’histoire du pays, ce en passant sous silence une partie importance de celle-ci qui serait à même d’éduquer, de mobiliser, de nourrir une conscience collective, celle d’appartenance à un même tout, un ensemble dénommé « peuple congolais».

De la mémoire collective

Comment faire appel à cette mémoire dans des moments critiques, comme c’est le cas aujourd’hui, de notre histoire commune où nous sommes condamnés à rassembler les nôtres, les mobiliser, leur parler de notre devenir commun ? Le discours unifie, conscientise, sensibilise et mobilise le peuple. Et Lumumba devrait et doit en faire partie parce que sa lutte symbolise la bataille contre l’empire, la domination de l’Autre pour qui nous sommes jusqu’à ce jour des non-personnes. C’est une partie de notre histoire que nous ne devons jamais taire ou faire disparaitre. Que le personnage de Lumumba fasse unanimité ou pas, l’essentiel n’est pas là, mais c’est plutôt comment, de manière consciente, nous avons décidé de former et d’entretenir notre peuple en lui transmettant ce qui constitue sa mémoire. En effet, la mémoire collective est l’âme d’un peuple. Et sans elle, le peuple chancelle et meurt.

Chavez, pour ne citer que son cas, parce qu’il y en a plusieurs, portait dans ses entrailles chaque fois qu’il pensait au Venezuela et à l’Amérique Latine le nom du général Antonio José de Sucre. Chavez lisait « Les veines ouvertes de l’Amérique latine », de l’écrivain et journaliste uruguayen Eduardo Galeano qui a immortalisé Castro de son vivant. Chavez comme Morales, comme Rafael Correa aimait à parler de Fidel Castro. Et tous ont fait référence, à un moment ou à un autre, à la révolution bolivarienne. Castro avait son ami, son poète José Marti. En France, les Français parlent qui de Gaule, qui de Mitterrand, qui de Napoléon. En Russie, Poutine a ses poètes et philosophes, notamment Nicolas Berdiaev, Ivan Iline, Vladimir Soloviev un poète et philosophe russe grand ami de Dostoïevski. Les Anglo-Saxons célèbrent leurs pères fondateurs. La Belgique ne se gêne jamais de parler de son roi Léopold II malgré son génocide de 10 000 000 de Congolais. Je veux savoir si Lumumba, même mort, continue à déranger ? Qui ? Et pourquoi ? Dans notre pays, on préfère plus parler du fils de tel ou de tel autre. Il n’y a aucun mal à ça, mais se taire sur Lumumba est difficile à saisir. Cette tendance fait dire à Tchicaya U’Tam’Si dans Ces Fruits si doux du pain, je cite notamment : Ceux d’ici ont tué Lumumba pour que plus jamais personne ne dise : « nous avons connu … ce que nous avons connu » alors qu’en le rappelant on aide la jeunesse à apprendre de nos fautes.

En ce moment de notre lutte commune, Lumumba devrait nous hanter :

1. « À vous tous, mes amis, qui avez lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffablement gravée dans vos cœurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et à leurs petits-fils l’histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté.

2. Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force.

3. Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort.

4. Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés.

5. L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité.

Je rejoins et adhère à Likambo ya mabele.

Tshiyoyo Mufoncol
mufoncol.tshiyoyo@gmail.com
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